Un voyage dans la vallée de l’Omo est une aventure. Cette vaste région, au sud de l’Éthiopie, à la frontière du Kenya et du Soudan, est un immense espace, toujours sauvage. En raison de l’éloignement d’Addis-Abeba, de Nairobi, de Khartoum, les pouvoirs ne se sont jamais intéressés aux habitants de la vallée de l’Omo. Ce territoire, plus grand que la Belgique, ne possède que six pistes, mauvaises, praticables uniquement en 4/4, dont la moitié est fermée lors de la saison des pluies. Celui qui veut en découvrir les habitants est obligé de beaucoup marcher, et cela sur un terrain difficile, avec une chaleur accablante, sous un soleil dur à supporter. Là-bas, il n’y a ni hôtel, ni magasin, ni eau potable, et pas d’essence ; il faut tout amener avec soi et loger sous la tente, parfois en présence de lions, de buffles et d’éléphants. Là-bas, ce n’est pas seulement la nature qui est encore sauvage ; ce sont également les hommes des différentes tribus. Ils ont été protégés par les difficultés d’accès du pays ; ils n’ont connu ni la traite des esclaves, ni la colonisation, et, jusqu’à présent, sont épargnés par le sida. Beaucoup de missionnaires ont abandonné cette région, librement ou sous la menace.
Ces tribus ont des langues et des coutumes très variées ; ce sont des éleveurs ; les troupeaux sont leur unique richesse (ce sont les paysans les plus riches d’Éthiopie). Les vaches leur fournissent l’essentiel de leur nourriture : le sang, le lait et la viande. La richesse d’un homme se mesure au nombre de vaches qu’il possède ; pour se marier, il faut payer le père de la fiancée avec des vaches, entre 20 et 40. Les kalachnikovs ont également été achetées contre des vaches. C’est très récemment que l’argent a fait son apparition ; auparavant, tout était calculé en nombre de vaches. Il arrive que les questions de pâturage des troupeaux soient une source de conflits entre les diverses tribus : ils se règlent souvent à coup de kalachnikov. De vraies guerres se déclanchent parfois, avec des centaines de morts, uniquement des hommes, les femmes et les enfants sont épargnés.
Les tribus les plus importantes sont les Hammer, les Mursi, les Karo, les Surma, les Bume, les Galeba et les Dasanech ; ce sont des semi-nomades, les troupeaux décident de leurs déplacements. Seuls les hommes s’occupent des vaches ; les femmes vivent plutôt au village ou, selon la saison, au fond des vallées, se consacrant à l’agriculture, une agriculture très primitive, limitée à la plantation de sorgho et de maïs. Ces céréales sont très importantes pour la nourriture et également pour la fabrication des boissons alcoolisées. Les hommes de certaines tribus sont complètement nus ; toutes les femmes portent une sorte de jupe en peau de chèvre ; les femmes Mursi se parent des fameux plateaux insérés dans la lèvre inférieure ; c’est pour elles un signe de courage, de volonté, un atout de beauté. Hommes et femmes utilisent leur corps comme un espace d’expression artistique ; c’est avec un intense plaisir qu’ils se peignent le visage et le corps ; dans une recherche permanente de beauté. Les scarifications sont fréquentes. Bien sûr, toute cette décoration est aussi un signe d’appartenance à telle ou telle tribu.
Dans la vallée de l’Omo, la vie d’un individu ne compte pas beaucoup. La vie de la tribu est la priorité absolue. Le nombre d’homme mourant dans les combats est important : les survivants épousent plusieurs femmes, les naissances garantissent ainsi la continuité de la tribu. S’approcher de ces populations est à la fois facile et difficile. La présence d’un guide et de deux traducteurs est absolument indispensable. Ces tribus sont chez elles ; chaque homme possède sa kalachnikov. Une grande prudence d’approche est donc nécessaire ; mais avec beaucoup de temps et de sourire, les contacts sont possibles. Photographier ne peut se faire qu’avec leur consentement ; le non-respect de cette règle peut s’avérer très dangereux.
Pour moi, cette expérience dans la vallée de l’Omo (neuf séjours d’une durée totale de dix mois) représente une aventure extraordinaire. Vivre avec ces êtres si différents de nous m’a fait beaucoup réfléchir sur les « acquis » de notre civilisation.
Hans Silvester
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